Snagov (AAP) - Feuquingue Novouère !* Nos lecteurs les plus assidus se souviennent certainement de l’Affaire de la Queste du Grand Khan. Dans le courant de l’année dernière, une armée franque, composée de courageux pèlerins, avait réussi à franchir la frontière extrême du Levant européen, et à pénétrer dans des régions restées jusque là inviolées, où la main de l’Homme, ni même celle de la Femme, n’avait encore jamais osé poser le pied. Pour réussir ce prodige, il leur avait fallu se munir d’un œuf. Oui, chers amis lecteurs, d’un œuf ! Mais pas d’un simple œuf de poule, ni même d’un œuf de milan. Non. Il leur avait fallu se munir d’un magique œuf de mille ans, dont il existerait seulement trois exemplaires dans le Monde connu, c’est vous dire si ça ne se trouve poinct sous le sabot d’un cheval, et c’est tant mieux, car sinon tout le monde pourrait se promener dans l’Inconnu, et ça deviendrait d’un banal à mourir.

Mais hélas, parcourir l’Inconnu n’est poinct une finalité en soi. Car l’Inconnu est peuplé, et même bien peuplé, c’est le domaine d’un Seigneur puissant et mystérieux, détenteur des Secrets & protecteur des Arcanes : j’ai nommé le Grand Khan, vous l’aviez deviné. Et le Grand Khan est un personnage vindicatif et acrimonieux, et son armée est indestructible, et d’un revers de manche, il balaya l’armée franque et la renvoya sur ses bases, jusqu’à Snagov en Wallachie.

A Snagov, les pèlerins les plus persévérants fondèrent une petite colonie franque, qui survécut comme elle le put dans un contexte hostile, loin de la douce chaleur de la Mère Patrie. Ils installèrent là un semblant de Civilisation, au milieu des indigènes à moitié sauvages, dont les plus hostiles se reconnaissaient à leur front national, et qui les accueillirent aux cris de « Dehors les Français ! On est chez nous ! Snagov aux Roumains ! Stop à la traite des Valaches ! » Mais les pèlerins s’accrochèrent au terrain comme des morpions à des poils pubiens. Ils occupèrent la mairie, cultivèrent les champs, relevèrent l’église qui avait les Saints qui tombaient, ouvrirent un cabinet médical, des tavernes, une maison de tolérance, un cercle de poker clandestin, une fumerie d’opium, bref tout ce qui rend l’existence un minimum supportable. Et ils attendirent.

A l’automne dernier, sous l’impulsion de quelques aventuriers lassés de leur existence futile au Royaume de France, et qui préféraient mourir le nez dans la gadoue plutôt que de vivre en pétant dans la soie, un groupe d’études se forma dans le but de monter une expédition destinée à porter secours aux pèlerins oubliés, et à péter la gueule au Grand Khan, si affinités. Il y avait là un chef d’armée erratique, une brigande désabusée, et quelques autres qui suivaient par habitude ou manque d’imagination. Bref, après qu’un deuxième œuf de mille ans ait été dégoté, condition sine qua non, une armée fut créée à Genève, réunissant des gens d’horizons fort multiples et souvent antagonistes, dans un grand élan fraternel : la Croisade, c’est comme les guerres coloniales, taper sur les métèques il n’y a rien de tel pour se créer une mystique ! Le voyage vers la Wallachie se fit dans le courant de l’automne 1465, sans rencontrer de problèmes majeurs, si ce n’est en Teutonie, ces gens-là ayant toujours un peu tendance à rouler des mécaniques les cuisses à l'air dans leur culotte de peau. Avaient-ils vraiment les moyens d’arrêter l’armée des pèlerins ? Oncques ne le saurons, mais toujours est-il que l’armée passa.

Au jourd’huy, le voyageur aventureux qui arrive à Snagov découvre le spectacle merveilleux de deux armées rutilantes, bourrées ras la gueule de fiers combattants venus de tous les horizons : il y a là des français, des bretons, des suisses, des serbes, des russes, des valaches, des turcs, des apatrides, des SDF, des réfugiés, des brigands, des curés, des nobles, des gueux, des militaires, des râleurs, des protestants, des réformés, des en attente de réforme, des courageux, des pleutres, des qui sont sûrs, des qui se demandent ce qu'ils foutent là, des boulets, et une taupe roumaine qui essaye de rentrer partout où elle le peut.

L’armée venue de France est fort clinquante avec son bel agrément suisse, et sur son oriflamme qui claque orgueilleusement au vent s’affiche la Croix d’argent sur champ de gueules du Schweizerische Eidgenossenschaft. Sur l’oriflamme cramoisi de l’autre armée est brodé le calicot du Grant Turc, car l’agrément a été obtenu auprès de Son Chef de Cabinet. D’aucuns ont d’ailleurs avancé que l’agrément d’un cabinet à la turque manquait quelque peu de confort, et qu’à tout prendre, il aurait mieux valu s’adresser au Sainct-Siège, « On aurait au moins pu asseoir notre position ! », avancent-ils. Mais quoi qu’il en soit, ces deux osts ont vraiment fort grande allure, et sans nul doute, le Grand Khan doit être en train de salir le fond de ses braies, à l’heure où je vous cause.

Le départ de la troupe en direction du Feuquingue Novouère est prévu pour la journée de demain jeudi 14 décembre, voire pour la suivante, en fonction des conditions météorologiques au dessus-de Snagov. Comptez sur nous pour vous tenir informés des prochains déroulement de l’Aventure.

C’était Praséodyme Gazélec en direct de Snagov pour l’AFP, à vous les studios.

* P... de Nulle-Part !


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