Genève (AAP) - Le royaume des voisins bruisse, les chancelleries toussent et les maires s’étranglent de zèle : "ONE" est partout ! Ce sombre Ordo Negrum Equites, qui ne rassemble même pas assez d’âmes pour remplir les gradins d’une foire à la citrouille irlandaise (500 au mieux), est accusé de tout : d’avoir coulé des bateaux - ça c'est vrai - vidé les coffres, effrayé les poules et probablement troublé la digestion de l’amirale de France. À l’échelle du royaume (5000 habitants, un par cloche et deux par potence), l’ennemi occupe une place plus grande dans les procès que dans les prairies. À l'heure où troubles, révoltes et combats d'armées sont pétrifiés, et cela depuis quatre mois, ça peut s'étonner.

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Samedi 23 août, dans une taverne de Millau, le capitaine Scolvus, encore mal remis d’un naufrage, croise Zord, homme aux airs de conspirateur de village et proche du capitaine du Black Secret. Il murmure : "Il chasse les ONE, et il a combattu pour le roi." Comprenez : il a levé son verre plus haut que les autres et gagné le droit de désigner qui est traître et qui ne l’est pas. Scolvus, étonné d’être lui-même suspecté, alerte le comte du Languedoc, lequel, entre deux bâillements administratifs, confie : "Oui et non… le bateau est royal, mais l’amirale me fatigue. Ce mois-ci, les repos ont été nombreux. On va y arriver." Voilà qui rassure.

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Ailleurs, dans des contrées désertes du cœur du Royaume, les procès tombent plus dru que les habitants ne poussent. Dans le Limousin, on accuse : "affilié à ONE". Ici, la haute trahison se distribue comme la soupe claire : abondante, tiède, sans consistance. Même scène en Normandie, du côté d’Avranches. Partout, les frontières s’ouvrent et se ferment comme des volets de taverne.

Et du côté de chez nous ? Les frontières de Venise sont scellées : attention à celui ou celle qui n’a pas son außweis. En Provence, on paie "6 écus par champ et 10,5 par échoppe tous les mois", mais on passe. En Lorraine, on passe, pareil mais on ne paie rien. En Savoie, on passe et on taxe surtout l’étranger : "il n’y a pas de taxe pour les habitants, seulement une capitation levée par les mairies, et encore pas tous les mois. Les seuls impôts concernent les ports (mais pas Turin) et les tavernes pour les non-Savoyards et non-nobles". Des écus engloutis dans des pots de teinture pour barioler les fêtes comtales, histoire de graisser le vernis d’un prestige qui ne sert plus qu’à justifier l’ouverture des bureaux aux heures où tout le monde dort encore. En Confédération helvétique, l’idée même d’impôt reste aussi inconvenante qu’un pet en messe basse et on passe.

Enfin, la Franche-Comté choisit d’arroser la peur d’un peu de vin taxé. Par décret, la Franc-comtesse Diane impose sa réforme déjà surnommée "Décret Picole". Il est désormais proclamé que les tavernes municipales paieront leur écot dès quinze habitants franchis, que les tavernes privées s’acquitteront sans distinction de résidence, et que tout retardataire pourra se voir majoré de 10 % et traîné en procès pour Trouble à l’Ordre Public. Ceux qui voyagent pourront quémander grâce au château de Dole, à condition de savoir gémir par écrit. Cette mesure, prévue pour le 1er septembre 1473, promet d’enivrer plus de greffiers que de clients.


Gaspard de la Goupille dit Gégé, pour pour l'AAP agence des terres au Milieu

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