
Genève (AAP) — Il est des guerres qui ruinent, et d’autres qui bâtissent. En cette année 1473, alors que les flots dévorent les coques et que les ports résonnent des noms d’épaves englouties, l’observateur sagace y lira non pas le chant du désespoir, mais les prémices d’un éveil. Car si les canons tonnent, c’est aussi dans les forêts, les mines et les arsenaux que la vie renaît. Et si l’on pleure les disparus, les vivants, eux, trouvent du travail.
À lire : l'éveil
D’aucuns croiraient contempler ici la chronique d’un désastre. Le 31 janvier, les clans irlandais engloutissaient plus de 25 navires, principalement des naves génoises. En mars, la Manche saignait à nouveau : le Charybde et le Goudurix, joyaux de la flotte française, sombrent dans une bataille aussi brève que brutale. Et le 13 mai, Miramaz et sa flottille sont balayés à l’embouchure de la Loire. Notre lecteur trouvera dans les archives de la rédaction les récits de ces événements. Enfin, en ce 28 juin, les ports portugais de Santarém, Setúbal, Alcácer do Sal et Lisbonne, sont dévastés : plus de 15 bâtiments sombrent en une journée.
La rade de Lisbonne tremble. Le Valhalla coule, son équipage dispersé. Six autres nefs suivent, dont Le Mainvilliers II, Anjo Gabriel ou encore Hasta la Vista. Déjà , dans les jours précédents, à Santarém, c’est le massacre : les caraques Black Drakken et El Bejo de La Muerte sont réduites au silence, avec cinq naves génoises et une cogue pour témoin. À Alcácer do Sal, les imposants Monforte IV et VI disparaissent. À Setúbal, Game Over porte bien son nom. Et au large, en X72:Y235 soyons précis, le Omega s'efface dans l’oubli. On aurait pu y voir un désastre stratégique. On y lit plutôt le plus grand transfert économique des royaumes depuis l’installation de Madame Notwen à Genève.
À lire : et glou et glou et glou
Mais derrière la fumée des batailles, un miracle discret s’épanouit : celui de l’économie réelle. Car chaque navire coulé appelle sa reconstruction, et avec elle, une chaîne d’activité d’une richesse insoupçonnée. Prenons les chiffres. La construction d’une seule caraque de guerre injecte environ 16 700 écus dans l’économie : salaires pour 25 ouvriers spécialisés, commandes de 1 200 stères de bois, de voiles, mâts, fer forgé, sans compter la rémunération des maîtres de chantier. Multiplions cette somme par les pertes récentes :
Janvier : 5 caraques (dont 1 de guerre) = ~45 000 écus ! Mars : 1 caraque de guerre, 1 cogue = ~25 000 écus ! Mai : 4 cogues + 1 caraque = ~30 000 écus ! Juin (Portugal) : 3 caraques + 4 cogues + 6 naves génoises = 70 000 écus ! À suivre. En 6 mois, combien d'écus injectés dans les ateliers, scieries, mines, voileries, fonderies, et bourses des travailleurs ! Ce n’est plus une guerre, c’est un plan de relance en mer ouverte.
Total estimé de l’investissement englouti (une soixantaine de bateaux depuis le début de l'année) : 244 201 écus. Attention, ce chiffre n’inclut pas les pertes humaines, les coûts d’entretien des flottes, ni l’effet de levier indirect sur les prix des ressources (bois, fer, voiles, etc.). Il représente uniquement la valeur de construction initiale des navires détruits.
Total estimé de l’impact de la guerre navale sur la filière bois : 21 450 stères de bois consommés ! Équivalence forestière et pression sur les filières ? Un bûcheron fribourgeois mature fournit environ 5 à 7 stères par coupe (selon densité de la forêt et les petits chaperons rouges rencontrées). Donc cela représente indéniablement une pression importante sur les forêts communales, un boom temporaire de l’activité des bûcherons et des fabricants de haches, un renchérissement local du bois dans les chantiers navals et les marchés urbains côtiers, une concurrence accrue entre la construction navale et les besoins civils (chauffage, construction, tonnellerie, boulangerie).
Effets dérivés dans l’économie locale plus éloignée du littoral : inflation sur le bois, revalorisation du métier de bûcheron, du bois d’œuvre naval (chêne vert pâle), spéculation sur les stocks dans les entrepôts de madame Notwen et monsieur de Saint Arkel. La guerre navale, si elle saigne les flottes, irrigue les forêts. Car derrière chaque naufrage, ce sont centaines de stères coupés, débardés, sciés, payés et des familles entières qui, sans gloire mais avec ardeur, en vivent.
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Dans nos mornes royaumes, où les champs donnent grosso modo toujours la même chose et les marchés s’endorment faute de consommateurs, la mer devient le théâtre d’un contrat implicite entre le drap, le bois et le maïs : chaque perte militaire se traduit en activité civile. Les ouvriers navals, naguère sans ouvrage, retrouvent emploi et fierté. Les forêts sont exploitées, les mines rouvertes, les charpentiers redemandés. Les portefaix musculeux des docks, les couturières frivoles de voiles, les mineurs en sueur de fer, les colporteurs volubiles d’outremer, tous profitent de l’aubaine. Car en vérité, plus on coule, plus on construit. Et plus on construit, plus les écus circulent. Plus que pas mal de bateau-moules accrochés à nos quais à l'année en tout cas. Et en plus, ça fait causer dans les tavernes !
La guerre n’est plus seulement une affaire d’ambition féodale ou de revanche de clans : elle est devenue la clef de voûte d’un système économique régénéré par la destruction où le sang versé sur les flots irrigue les terres intérieures. À ceux qui pleurent les cendres de leurs coques, disons ceci : vous êtes les mécènes de la reprise. À ceux qui lancent de nouveaux navires, disons : vous êtes les bâtisseurs d’un futur plus solide que vos coques. Et à tous, qu’ils soient d’Irlande, de France, de Flandre ou du Portugal, disons : ne craignez pas les pertes, elles sont nos semences.
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