Genève (AAP) — Dans un monde de brumes épaisses et de couloirs étroits, il fut un temps où les voix se taisaient. Les puissants murmuraient derrière des tentures, les complots germaient dans les caves, et le peuple, figé comme une foule de statues, attendait qu’on lui dise ce qu’il avait vécu.

Mais vint un souffle nouveau. Nul ne sait qui l’a porté, sinon qu’il s’éleva un matin dans une gargote enfumée, au milieu des verres renversés et des tables griffonnées de récits. Là, un homme — ou était-ce une femme, un enfant, un mendiant ? — frappa le sol du plat de la main et dit :
« Que tout ce qui vit se montre. Que l’ombre cesse d’être le trône. »

Ils comprirent alors : le royaume n’était pas fait de salons feutrés ni de lettres scellées. Il était dans les cris du marché, les sermons sur les marches, les débats rugueux au pied des fontaines. Ce monde-là, immense et ouvert, n’appartenait pas à ceux qui savent, mais à ceux qui osent.

On redonna sa place à la gargote. Ce lieu sale et vivant devint le théâtre des plus grands bouleversements. Les prophètes y trébuchaient sur des ivrognes, les rebelles y levaient leurs premiers partisans, les serments s’y liaient, les haines y éclataient.
Ce n’était plus un lieu de passage. C’était le cœur battant.

La halle fut reprise. Non plus simple comptoir d’échange, elle devint agora. On y vit des alliances naître dans des poignées de main maladroites, des rivalités éclater au milieu des cageots de pommes, des foules se former autour d’un conteur.
Tout ce qui ne s’y voyait pas n’existait pas.

Ce monde ne se fiait plus aux promesses ou aux réputations venues d’ailleurs. On ne croyait qu’aux actes. Celui qui osait défier un dogme, provoquer un seigneur ou rallier des fous passait avant celui qui ne faisait qu’en parler.
Le monde applaudissait ceux qui jetaient des pierres, pas ceux qui dissertaient sur leur poids.

On vit des ducs ignorés, des prêtres oubliés, des comtes devenus fonctionnaires de l’ennui. On vit aussi des anonymes soulever les foules.
Le pouvoir, dans cette république vivante, n’était pas une affaire d’héritage, mais de flamme.
Un nom seul ne gouvernait plus rien.

On apprit à tomber. À perdre. À tout risquer pour une idée. Les grandes histoires furent celles des trahisons visibles, des exils annoncés, des morts dramatiques.
Car là-bas, celui qui ne pouvait rien perdre ne valait rien.
L’histoire n’épargne pas les prudents. Elle les oublie.

Et dans cette ère nouvelle, on vit des feux de joie allumés par des hérétiques, des tribunaux corrompus par la ruse, des campagnes gagnées par un seul orateur.
Des fables se tissaient dans les cris. Des épopées naissaient d’un mot chuchoté au mauvais moment.
C’était un monde de fiction, oui. Mais de fiction dangereuse. Belle parce qu’elle pouvait vous briser.

Alors le peuple fit sien ce serment :

« Que la parole soit chair. Que les silences soient brisés. Que l’histoire se voie. »

Et ils investirent les places, les halles, les tavernes, les marches, les places d’exécution et les bancs du pouvoir.
Ils parlèrent, crièrent, rirent, trahirent, aimèrent — au vu de tous.
Ils furent enfin visibles. Et donc, enfin, vivants.

À lire aussi : Bouseux deviendra Grand


iZaac pour l'AAP agence des Terres au Milieu

Pour réclamer un droit de réponse - la KAP internationale