Genève (AAP) - Parce qu'un peuple sans histoires est un monde sans âme, nous poursuivons la vaste rétrospective des grandes batailles ayant marqué nos royaumes. Aujourd'hui, la Queste du Grand Khan un hiver fort fort lointain. Les contributions à venir sont les bienvenues.

Or sus, en l’an de grâce mil quatre cent soixante-cinq, le quatorzième jour du mois de décembre, fut relatée par maintes plumes l’histoire singulière de la Queste du Grand Khan, que je vais ici redire à la manière des chroniques que jadis compilai, au temps de mes écrits.

Or, il advint qu’une armée de Francs hardis, composée de preux et de pèlerins fervents, osa franchir les marches orientales de l’Europe, glissant au-delà des terres connues et trempées de la suie des siècles, là où nul pied chrétien, ni même païen, n’avait osé poser sa trace. Or, pour ce périple audacieux, un talisman fut requis, et ce fut un œuf, mais non point de vulgaire poule ni d’épervier, mais un œuf miraculeux, vieux de mille ans. De cet objet rare, trois seuls exemples se trouvaient en tout le vaste Monde, trésor que nul ne dénichait au pas nonchalant d’un destrier errant.

L'Inconnu, ce territoire à la fois terrible et tentateur, n'était point un désert vide, mais une contrée où régnait le Grand Khan, souverain jaloux de ses secrets et gardien farouche des arcanes occultes. Ce monarque, impitoyable et belliqueux, à la vue des Francs osant troubler sa quiétude, rassembla ses légions, et, d’un geste aussi prompt que l’éclair, dispersa ces hôtes infortunés, les rejetant à grands cris jusqu’au bourg de Snagov, en la lointaine et âpre Vallachie.

Là, les survivants dressèrent un maigre bastion franc, communauté tremblante sous les cieux d’hiver, luttant contre le vent âpre et l’accueil rugueux des gens du cru. Ces gens-là, front ceint d’hostilité et langue acérée, tonnaient en leurs harangues : « Que les Francs rebroussent chemin ! Snagov est terre roumaine, par la barbe de Vlad, qu’ils s’en retournent ! » Toutefois, ces pèlerins, pareils aux ivraies cramponnées aux barbes de froment, ne cédèrent point. Ils se saisirent du sol, firent germer blé et vignobles, relevèrent la chapelle vacillante dont les saints de pierre se dégradaient, érigèrent taverne et hospice, foyer de jeu et maison de réconfort, établissant ainsi leur ordre là où régnait la fureur des jours.

Cependant, l’automne de ladite année vit s’éveiller au loin le désir de revanche. Quelques chevaliers errants et autres figures lassées des plaisirs trop doux de la cour de France rassemblèrent leurs armes et firent assemblée. Plus valeureux qu’oisifs, et préférant la morsure du glaive à la paresse des velours, ils cherchèrent un nouvel œuf de mille ans, et l’obtinrent au marché occulte de Genève. Là fut levée une troupe hétéroclite : soldats de fortune, barons errants, gens de sac et de corde. Ce fut un élan de croisade, non point bénite par le Pape, mais d’âme tout aussi ardente, car frapper le Grand Khan promettait gloire et pillage.

En traversant la Teutonie, ces nouveaux croisés croisèrent seigneurs farouches et ribauds aux chausses de cuir tendu, chantres de la discorde et de l’arrogance. Pourtant, nul ne s’avisa de barrer la route aux Francs, et l’armée, sans entrave, descendit vers Snagov.

Or, si vous étiez parvenu alors à ce bourg, voyiez l’étrange spectacle de deux osts assemblées : armées aux oriflammes vives, ornées des croix d’argent de Genève et bannières turques de soie cramoisie. Là se tenaient, en la veille du grand assaut, preux chevaliers et truands, moines bardés de reliques et manants traînant leurs guenilles, les uns gonflés d’espoir, les autres tremblants, certains s’interrogeant sur leur présence même en ce lieu, tandis que, malicieuse, une taupe du cru s’efforçait de se faufiler çà et là, entre les rangs. L'Histoire donna la victoire au Francs qui rapportèrent moult trésors et socs dans leurs bagages.

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Jean Froissart pour l'AAP agence des terres au Milieu

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