Paris (AAP) - En préambule de cet article, je vais en quelques lignes donner les informations de base sur le fonctionnement du marché foncier des appartements. En effet, si certains lecteurs le connaissent déjà, j'imagine que d'autres ne s'intéressent pas aux règles du monde de l'immobilier. La chose est fort simple, et je vais la résumer en trois points :
- En tous lieux des Royaumes, un Duché (County/ Condado/ Kongeriget/ autre appellation) peut regrouper une ou plusieurs villes, mais ne possède toujours qu'une seule et unique Capitale ;
- Tout un chacun peut acheter un appartement (et un seul) en l'une de ces Capitales, sous réserve d'être présent dans la ville, de s'enregistrer auprès de l'Administration fiscale appropriée, et de lui verser la somme de 500 écus (taler/ pounds/ florijnen/ talarów/ autre monnaie locale) ;
- En nous reportant à la Carte du Sieur MrGroar, géographe distingué et reconnu de tous, nous pouvons confirmer que les Royaumes comptent à ce jour exactement 82 capitales dans lesquelles l'achat d'un appartement est autorisé par l'Administration.

Or, certains aventuriers (d'aucuns diraient « illuminés ») ont entrepris d'acquérir un nombre important d'appartements à travers le monde.

Ces multi-possesseurs ont été recensés bénévolement par le seigneur MacLegrand qui m'a fort aimablement fourni le palmarès suivant :
- avec 82 appartements : Danelle (c'est moi !), ressortissante limousine, et même limougeaude.
- avec 60 appartements : Frau JOséphina, résidente du Land de Steiermark, en Autriche.
- avec 43 appartements : Señor Nepturno, du Royaume d'Aragon.
- avec 41 appartements : Messire Getsumi de Bordeaux.
- avec 40 appartements : la princesse Emeria d'Irlande.

Ainsi, comme on peut le constater, la collection d'appartements est un passe-temps qui ne connaît pas de frontières : nombre de pays différents ont vu naître l'un de ces mauvais investisseurs (oui, car l'argent investi dans un appartement est bel et bien perdu : à part économiser 1 écu par nuit passée sur place, cela ne rapporte strictement rien).

Pour les besoins de cet article, nous avons également contacté les grands propriétaires immobiliers suivants :
- Dame Praséodyme d'Hucule de Bassefosse, qui possède 36 appartements.
- Señora de las Rosas Passiflora, qui achète des appartements avec son mari, le Sir Macelaru du Fleisch (ils possèdent 46 appartements, 23 chacun).

Penchons-nous à présent sur les motivations de ces gens étranges, qui placent obstinément leur argent si mal à propos...

L'achat des tous premiers appartements répond à des motivations variées : « garder la mémoire des lieux » pour la princesse Emeria ; « se souvenir d'un endroit spécial » pour la Señora de las Rosas. Le Señor Nepturno avait l'impression, après la fin de ses études et la construction de son hôtel particulier, « de ne plus rien avoir à faire » et c'est pourquoi il s'est lancé dans l'achat d'appartements. Dame Praseodyme a pour sa part répondu à un impératif professionnel : « il était important d'avoir plusieurs points d'appui stratégiques ». Quant à moi, mon premier achat fut le résultat d'un malentendu, le fonctionnaire en charge des appartements à Dijon n'ayant pas compris que je souhaitais seulement me renseigner et non acheter. Passés les premiers instants de stupeur devant cet achat presque forcé, j'ai trouvé ça amusant.

Quoi qu'il en soit, par la suite, l'achat d'appartements devient pour tous, en plus d'un rappel des lieux visités et des gens rencontrés, une sorte de quête, « un challenge » comme le dit Señor Nepturno.

La signification de cette collection en elle-même reste assez variée aux yeux des différents multi-propriétaires : « symbole de [sa] réussite sociale » et « apport non négligeable en influence clanique » aux yeux de Dame Praséodyme, confirmation de son rang royal pour la princesse Eméria, ces collections peuvent cacher une signification plus ''romantique''. La Señora de las Rosas et son mari tiennent à avoir symboliquement le même nombre d'appartements, « mais la plupart d'entre eux ne sont pas dans les mêmes villes » : ils se concertent pour décider « qui achètera un appartement dans la ville suivante ».

Finalement, lorsque j'ai demandé à tous ces multi-possesseurs s'ils comptaient continuer leurs achats, la réponse a été unanimement « Oui ! », avec pour tous de nouveaux voyages prévus ou espérés dans un avenir plus ou moins proche.

Je retranscris ici l'entretien avec dame Praséodyme, qui éclaire un peu mieux sa démarche.

AAP : Pourquoi avez-vous commencé à acheter des appartements ?

Praséodyme : Et bien, lorsque j'ai commencé à parcourir les chemins pour exercer le métier que je me suis choisi (partager leurs biens avec des personnes de rencontre), je me suis rapidement aperçue qu'il était capital de n'avoir aucun point d'attache en particulier, mais qu'il était important d'avoir plusieurs points d'appui stratégiques. En d'autres termes, une propriété que l'on est obligé de vider à chaque déménagement, sous peine d'en perdre le contenu, ne présentait pour moi aucun intérêt, alors qu'un (et surtout plusieurs) appartement(s), judicieusement disséminé(s) dans le paysage, me permettrai(en)t de sécuriser mon pécule, et de le placer à l'abri des cupides et des malfaisants, en prévision des jours difficiles. C'est ainsi que j'ai commencé à investir dans l'immobilier.

AAP : Avez-vous voyagé uniquement dans le but d'acheter des appartements ?

P : Non, bien sûr, pas à l'origine. Je voyageais alors uniquement dans un schéma-type de chaîne alimentaire, tentant de manger mes proies sans me faire gober par mes prédateurs. Ceci exige une permanente mobilité, et souvent la destination est choisie à l'instinct, en fonction des circonstances. S'adapter ou disparaître. Plus tard, j'ai voyagé dans un cadre plus collectif, sans que ce soit moi qui choisisse forcément les destinations. A l'heure actuelle, je suis reconvertie comme cadre supérieur dans une petite structure très mobile, et il est certain que mes déplacements sont fonction des lieux où je ne possède pas encore d'appartement. L'acquisition d'appartements est donc effectivement devenue un but.

AAP : Que signifie cette collection pour vous ?

P : C'est le symbole de ma réussite sociale. Celui qui ne possède pas au moins trente-cinq appartements à cinquante ans n'est qu'un jean-foutre, comme l'a si justement dit le poète. C'est aussi l'écrin des mes autres collections. Je possède par exemple une très belle collection d'écus, répartie sur plusieurs appartements. Je possède aussi des collections d'objets anciens et pittoresques, boucliers séleucides, filets de pêche, dindes de Noël, haches danoises, onguents à la purée de cerise, bonshommes de neige et j'en passe. Notons au passage que mon appartement à Fribourg possède une fonction éminemment pratique. Il me permet de prendre une douche chaude, de changer de linge et de me faire frire deux œufs à l'occasion du traditionnel Tournoy de lutte gymnopédique du Léman, un peu comme si je jouais à domicile. La possession d'appartements me confère également un apport non négligeable en influence clanique, ce qui est capital si l'on veut un tant soit peu affirmer son rang sur les réseaux zoziaux, de nos jours.

AAP : Avez-vous l'intention de continuer vos achats ?

P : Bien évidemment. L'achat d'appartements est devenu, d'une part, le moteur de mes déplacements (en plus de l'aspect plus particulièrement touristique et culturel, bien sûr), et d'autre part il me permet de blanchir commodément de l'argent à la propreté qui peut sembler incertaine à d'aucuns. Il a toujours été délicat de se promener avec trop d'argent sur soi, croyez-moi si vous le voulez, les chemins sont parcourus par des individus à la moralité douteuse, et les tribunaux sont habités par des fonctionnaires véreux avides de vous nettoyer le porte-monnaie. J'ai beaucoup investi dans les vêtements, mais maintenant mon dressing est bondé. Dans les armes, mais mon ratelier est surchargé. Non, je vous le dis, l'heure est à l'investissement immobilier. La pierre, y'en a pas deux.

Pour conclure, selon les mots très justes de Señora de las Rosas : « une fois que vous avez commencé, difficile de s'arrêter » !

Danelle, pour l'AAP.